jeudi 29 octobre 2009

Intérieur / extérieur




Sans titre, 2008-2009 (grillage) 150 x 130 x 100 cm

mercredi 28 octobre 2009

Paysage Corporel



Paysage Corporel, 2009 (vidéo) (extrait)

vendredi 23 octobre 2009

L'immatériel ou l'avènement de "l'Homme - Eponge" (manifeste ?)

Sans titre, 2009 (plâtre, peinture) 140 x 120 x 10 cm

Sans titre, 1959, Yves Klein (pigments purs et résine synthétique, éponge naturelle sur socle en pierre) 28 x 18 x 11 cm

Au thème de l'argent j'ai choisi de répondre en m'interrogeant d'abord sur sa valeur actuelle, sur ce qu'elle représente aujourd'hui en 2009. A quoi s'applique l'argent aujourd'hui ? Alors qu'au départ il est un simple moyen permettant facilement l'échange de marchandises diverses et variées, il est devenu une fin en soi car la notion même de marchandise a changé. Elle qui à l'origine était bien concret, pondéré, matériel, fruit du travail humain elle est, à l'heure d'aujourd'hui et ce depuis une dizaine d'années, abstraite, immatérielle. Notre monde vit actuellement une véritable « crise de la valeur » dénoncée par André Gorz dans L'immatériel, connaissance, valeur et capital (2003) qui a pour responsable l' Immatériel. Crise face à laquelle l'homme doit s'adapter car il en est non seulement coupable mais aussi principale victime puisqu'elle touche aussi bien son économie, sa culture que sa société et son humanité. A travers mon travail, mes questions et mes lectures de Gorz (L'immatériel, connaissance, valeur et capital, 2003) et d'Yves Klein (Le vrai devient réalité, 1960) mais aussi de Bachelard (L'eau et les rêves, essai sur l'imagination de la matière, 1942) je vais tenter d'expliquer ce phénomène qui prend corps de plus en plus dans ma recherche et me pousse de plus en plus vers cet idéal de l'homme absorbant le monde telle une éponge.




Chapitre I :

La fin de l'ère matérielle : la naissance de l'ère immatérielle


Ma pièce a pour objectif de donner cent fois plus de poids, cent fois plus de matérialité, cent fois plus de réel à une chose minime qui sert uniquement à contenir un flot incalculable d'informations (immatérielles donc), ici en l'occurrence bancaires. En effet, quoi de plus symbolique de l'ère immatérielle que la « puce électronique » ? Elle mesure seulement 1,2 x 1,4 x 0,5 cm mais peut contenir des milliers d'euros ! Comment traduire matériellement une telle quantité ? Elle n'est pas argent concrètement et pourtant elle est en train de devenir le premier moyen de paiement. Je parle ici de l'argent mais c'est de la même chose dont il s'agit avec la photo numérique, le mp3 … Les choses concrètes, les objets tendent de plus en plus à disparaître au profit de l'immatériel. Cela concerne tous les domaines (économique, artistique, culturel, humain) et a des conséquences à la fois sur la valeur et la richesse (d'un produit, la rémunération du travail, d'une oeuvre d'art) et la réalité, deux concepts qui m'intéressent particulièrement.


« La crise du concept de valeur »


La valeur ne se mesure plus en terme de production matérielle


Lorsque vous achetez un ordinateur, ce n'est pas sa « forme matérielle » (écran, unité centrale …) que vous payez majoritairement mais les informations qu'il contient c'est-à-dire ses données numériques. Il en est de même avec le logiciel : « leur élaboration et leur transcription en langage numérique ont un coût souvent élevé, mais les logiciels peuvent être reproduits en un nombre pratiquement illimité à un coût négligeable » (Gorz). Par conséquent, ce n'est plus du matériel que nous achetons mais ce que Gorz appelle « connaissance » et qui plus est « connaissance » brevetée. De même, l'artiste Yves Klein, « l'imposteur » comme il est nommé par ses détracteurs, dépose un brevet sur « son » bleu IKB (International Klein Blue) dont lui seul ainsi que le « bricoleur curieux » Edouard Adam connaissent les proportions exactes de la recette (médium idéal « dilué avec de l'alcool à 95% et de l'éthyl-acétate » et pigments bleus outremer). Ainsi ce n'est pas l'IKB concret, matériel dans son tube qui vaut cher mais saformule. Là où l'artiste dépose un brevet, le créateur du logiciel place un « copyright » (©).

La production tendant de plus en plus à être immatérielle, se pose la question de la valeur monétaire : comment évaluer le prix d'une connaissance ? D'un brevet ? D'une marque ?


L'argent n'est pas suffisant pour estimer la valeur de la production immatérielle


Là où l'on pouvait estimer facilement la valeur d'une baguette de pain (selon le temps passé à la faire, le prix des ingrédients, des ustensiles …), il en va autrement avec le prix d'un logiciel informatique : tous les CD-rom sont les mêmes matériellement parlant mais seul leur contenu diffère. Quelle valeur donner à ce contenu puisqu'il n'est pas « utile » au sens strict du terme c'est-à-dire celui de répondre à un besoin comme celui de manger dans l'exemple précédent ? Quel prix lui donner ? Comment le calculer ? En fonction du nombre d'heures de travail qu'il a nécessitées ? Yves Klein n'a pas passé des heures à la recherche de son bleu et pourtant nous savons qu'il vaut très cher. Gorz donne en guise de remède « une monnaie de consommation spécifique, différente de l'argent qui actuellement remplit quatre fonctions très différentes, créée et distribuée selon des critères politique non inflationniste par sa nature (péremption courte, circulation limitée), peut éviter l'implosion d'un système qui produit de plus en plus de marchandises en distribuant de moins en moins de moyens de paiement ».

Par conséquent la valeur économique (donc d'échange) qu'incarne l'argent (il est « unité abstraite » permettant de fonder le rapport d'équivalence entre deux marchandises) montre qu'il n'est pas adapté à ce nouveau « capital immatériel » car c'est une toute autre valeur qui la domine. Cela pose d'ailleurs de plus en plus de problèmes avec l'explosion internet notamment concernant les droits d'auteur en matière de téléchargements de musique. Il est en effet aujourd'hui très facile de s'approprier une connaissance, une chanson, un film gratuitement grâce à la toile. Pourquoi ne peut-on pas « rémunérer » la production immatérielle comme on rémunère la production matérielle ? Ce nouveau type de production ainsi que sa valeur ne sont-ils pas en passe de présenter des problématiques analogues à celles de l'art et de sa valeur ?


Comme pour celle de l'art, la valeur de la production immatérielle se veut entièrement symbolique


Ce n'est pas la valeur du produit en lui même que vous achetez comme nous l'avons vu avec l'IKB de Klein mais sa marque, ce qu'elle symbolise, le monopole qu'elle impose dans le monde (« une valeur symbolique qui l'emporte sur sa valeur utilitaire et d'échange »). C'est « son » bleu, il a le monopole dessus, nous sommes obligés de passer par lui pour l'utiliser, il lui appartient. En fait la valeur de l'IKB tout comme celle d'une paire de Nike dépend uniquement de l'image de leur « inventeur ». Cette image est véhiculée par la publicité. Publicité qui utilise nos codes de société (mode, « lifestyle », culture, célébrités …) comme le montre celle de Nike en utilisant le célèbre footballer français Thierry Henry pour sa ligne de vêtements de sport. Grossièrement, en achetant tel ou tel t-shirt de la marque vous mettrez des buts aussi aisément que le « ballon d'or » 2006. Ca va à Thierry Henry, pourquoi ça ne m'irait pas à moi puisqu'en plus je sais où et comment me le procurer ? Il en va de même avec les sponsors de n'importe quel événement spécialement avec les compétitions sportives. Dernièrement, par exemple, il y eut scandale dans le monde de la natation avec les nouvelles combinaisons Arena. En effet, Alain Bernard venant de battre le record du monde du 100 m nage libre se fait refuser la validation sous prétexte qu'il ne portait pas à ce moment la combinaison homologuée par la fédération. Pourtant ce n'est pas la combinaison qui nage 100 m en 46sec 94 mais l'homme qui la porte ! Seulement Arena s'est emparé de la natation française et la monopolise sur le plan de l'équipement. Petit à petit les marques s' imposent aux quatre coins de la Terre et de notre cerveau ruisselantes d'images, de slogans, de son. A l'heure actuelle il faut vraiment vivre au milieu d'un « no man's land » pour ne pas connaître Mac Donald.

Il en va de même avec le marché de l'art et notamment celui de l'art contemporain. Prenons l'exemple de Lawrence Weiner avec ses Statements : ces oeuvres consistent en de simples phrases. Par conséquent, quand vous achetez un Statement vous achetez une phrase. Où est passée la matérialité du Picasso à 25 millions de dollars ? Même ici ce n'est pas le prix de la peinture à l'huile, de la toile et du bois qui vaut ce prix exorbitant mais la signature de l'artiste, un simple gribouillis en bas du tableau. On n'achète pas Les demoiselles d'Avignon mais un Picasso, on n'achète pas une paire de basket mais une paire de Nike.

Donc avec cette croissance grandissante de l'immatériel, c'est une nouvelle valeur autre que celle économique qui s'installe de plus en plus forte pour s'approprier, absorber le monde qui nous entoure, la valeur symbolique.


Ainsi nous sommes en train d'assister à une véritable mutation de la notion valeur opérant la transition de la valeur économique (d' « échange ») à la valeur symbolique due elle-même à une transformation de la production matérielle en production immatérielle. Une valeur qui ne peut être représentée précisément par l'argent matériel, une valeur elle aussi immatérielle.

Une valeur s'imposant d'elle-même apportant ses propres codes et mettant en doute les autres voire le concept de « réalité » même.


La crise du concept de « réalité »


L'immatériel métamorphose les désirs qu'il nous impose en besoins


Rappelons que sur un point purement théorique et philosophique on différencie le désir du besoin dans la mesure où contrairement à ce dernier, il est psychologique en plus d'être physiologique (donc il ne dépend pas uniquement du corps mais aussi de l'esprit, rapport à la nature ambiguë de l'homme que j'évoquerai plus tard), actif en plus d'être passif et à caractère cyclique et non limité. Porter des chaussures au Groenland est un besoin, n'importe lesquelles soulageront mon corps tandis que désirer porter des Nike là-bas est un désir. La marque n'est pas nécessaire au soulagement de mes pieds face au froid.

Le « capital immatériel » crée en nous de nouveaux désirs qu'il fait apparaître à nos yeux comme des besoins. Gorz parle de la transformation de l' « acheteur » en « consommateur », nouvelle espèce d'acheteurs qui « n'ont pas besoin de ce qu'ils désirent et ne désirent pas ce dont ils ont besoin ». Par conséquent, nous sommes devenus les consommateurs d'une nouvelle terre, dont nous ne sommes pas propriétaires, qui choisit, nous impose des désirs passant pour des besoins interrogeant même notre notion de « réalité ». Gorz prend l'exemple de la cigarette et son rapport avec l'émancipation de la femme. C'est en mettant en exergue le symbole phallique qu'elle représente qu'on a mis dans la tête des femmes qu'en fumant elles s'émancipent de la « domination masculine ». Pourtant, a-t-on réellement besoin d'acheter des cigarettes pour montrer son indépendance ? Quelle est cette réalité marchande que l'on cherche à nous imposer ? Et d'abord, est-ce la réalité ? Cette réalité ne nous appartient pas, nous ne la maîtrisons pas, comment faire en sorte qu'elle devienne la réalité ?

En transformant les désirs qu'il nous impose en besoins, l'immatériel nous prescrit sa réalité. Il colle son monde sur le notre comme la marque appose sa griffe monopolisantun type de produit, comme Klein veut signer le ciel « [sa] plus grande et plus belle oeuvre ». Néanmoins l'artiste n'engage que lui en tant qu'homme (« la création artistique doit déranger pour renouveler la manière de percevoir et la capacité d'imaginer. L'art publicitaire et la mode doivent plaire et imposer leurs normes ») en disant cela, comme nous le verrons plus tard, contrairement à la marque qui, elle, monopolise un certain type de produit de consommation qu'elle rend « nécessaire » à la vie chaque individu créant des conflits entre eux alors qu'elle est censée les rassembler sous une seule et même masse.


La « socialisation antisociale », une réalité déguisée par l'immatériel


En donnant l'illusion de s'adresser à chaque individu dans son « innermost self » (son « moi le plus intime ») avec ses services et à ses goûts les plus personnels avec ses produits, les firmes les font se diviser pour mieux les rassembler. Nous assistons là à un véritable cercle vicieux qui me paraît intéressant d'expliquer.

D'abord vous avez les services des entreprises qui par l'intermédiaire de leurs vendeurs vous font croire à une véritable « relation privée ». Il vous persuade par exemple de vous connaître par coeur, vous pose une infinité de question puis vous fait acheter un forfait téléphonique parfaitement adapté à votre activité, vos besoins, à vous d'après ce qu'il dit et pourtant il vend ce même forfait cent fois dans la journée. Puis il en va de même lorsque vous achetez le produit sans l'intermédiaire du représentant par exemple avec un vêtement. Cela crée d'ailleurs de nombreuses discordes dès l'école primaire. Tel élève ne porte que des affaires de marque, il est donc plus important que moi parce qu'il porte « plus de valeur » ou alors au collège, si tel ado ne porte que du Billabong alors il appartient à la communauté « skateur ».

Le consommateur se trouve alors piégé puisqu'en croyant se démarquer des autres, il ne fait que s'en rapprocher plus ou moins inconsciemment soit en cherchant volontairement à intégrer un groupe soit en cherchant sa propre singularité de par sa consommation personnelle. La marque fait croire qu'elle personnalise ses produits selon les individus alors qu'en fait elle ne cesse de standardiser en créant et produisant des millions de fois le même. Elle ne s'adapte pas aux goûts mes impose les siens. L'individu n'est pas maître de cette réalité, elle ne lui correspond pas puisqu'il ne l'a pas créée.


L'immatériel, créateur de « réalité virtuelle »


L'économie n'a jamais autant fait appel à la capacité de projection dans le futur de l'homme que depuis cette apogée de l'immatériel. Il doit désormais prévoir des milliers de choses pas encore existantes. C'est ce que l'on peut observer avec la bourse actuellement. Qu'est-ce-que la bourse ? C'est une « institution privée ou publique qui permet de réaliser des échanges de biens ou d'actifs standardisés et ainsi d'en fixer le prix ». Seulement, ces « biens » ne sont pas encore réalisés. Les actionnaires spéculent, prévoient, fixent des prix, des valeurs sur des choses « virtuelles ». Gorz parle d' « argent fictif ». Mais le problème est qu'on ne sait pas encore jusqu'où peut s'étendre cette fiction, on ne sait encore comment la limiter « jusqu'au jour, imprévisible mais inévitable, où la bulle éclate », où la fiction dépasse la réalité créant des désastres économiques ayant des retombées sociales et politiques. C'était le cas en 2008 avec l'affaire du trader (négociateur de valeur pour une société à la bourse) Jérôme Kerviel de la banque française Société Générale qui, en spéculant trop haut a fait perdre 5 milliards d'euros à son groupe. De même, ces sommes paraissent complètement irréelles, qu'est-ce-que 5 milliards d'euros ? Le citoyen ne manipule pas des montants pareils et pourtant c'est en parti son argent qui est utilisé !

L'immatériel instaure ainsi une véritable « réalité virtuelle » par le biais de ces« capitaux fictifs » mettant, par conséquent, de plus en plus l'individu dans une situation d'impuissance face au pouvoir de l'argent en général et de son propre argent. Cette réalité construite par le capitalisme actuel détache donc l'homme de son argent mais aussi de sa production.


L'immatériel, générateur de « réalité impalpable »


D'un point de vue économique comme d'un point de vue artistique, la réalité sensible disparaît derrière l'immatériel. D'abord en ce qui concerne la production de marchandises « aliénables », comme le dit Marx (Le Capital, 1867), que réalise l'homme à travers le travail. De fait, il existe un véritable détachement matériel de la part de l'ouvrier depuis l'essor de l'entreprise. Ce qu'il produit ne lui appartient pas à lui mais au « capital » de l'entreprise qui le dirige. De même qu'à force de produire en série sans cesse des objets identiques son cerveau aussi se détache de son action sur le produit. Il n'apporte pas sa patte personnelle à l'objet. Par conséquent, l'homme-ouvrier est aussi aliénable que la marchandise qu'il produit. Son esprit est totalement indépendant de sa main qui façonne. Donc la production industrielle dite « à la chaîne » ne permet pas d'établir le lien entre corps et esprit séparant ainsi ce dernier de la « réalité sensible ».

Néanmoins ce détachement peut aussi être « partiel » ou plutôt en deux temps. C'est cela qui m'intéresse chez Yves Klein : « j'avais refusé le pinceau, trop psychologique, pour peindre avec le rouleau, plus anonyme, et ainsi tâcher de créer une distance, tout au moins intellectuelle, constante, entre la toile et moi pendant l'exécution ... ». En fait ce dernier choisit de s'extraire intellectuellement, ôter toute subjectivité qu'on induit au pinceau, pendant la réalisation de son travail afin de permettre à la « sensibilité picturale » d'entrer en action autrement dit de le dégager de toute activité mentale, subjective, perceptive dans un premier temps dans le but de le faire ressentir à tous ses sens dans un second temps. Par conséquent, l'artiste utilise ce détachement à la fois matériel, mental et formel, cet immatériel, d'abord, afin qu'il permette, par la suite, l'avènement de la sensibilité propre à chaque individu. Klein n'est en fait que l'un des multiples précurseurs de l'art immatériel. L'artiste n'est plus forcément homo faber. L'art tend de plus en plus à se dématérialiser, devient minimal et cela ne veut pas dire pour autant qu'il fait de moins en moins intervenir notre sensibilité au contraire il la capte et, elle, elle l'absorbe. Or n'est-ce-pas vers cela que nous devrions aller ? Après tout l'art n'est-il pas un moyen de repenser le monde et le rapport que nous entretenons avec ? Les artistes ne seraient-ils pas les prophètes guidant vers une parfaite symbiose entre l'univers et ses êtres ? Je reviendrai plus précisément à tout cela par la suite.

Ainsi l'immatériel donne naissance à une réalité de moins en moins évidente puisqu'impalpable détachant physiquement l'homme de sa production qu'elle soit aussi bien économique qu'artistique même si cette dernière tend de plus en plus à les rassembler.


En conséquence, l'immatériel redéfinit la notion de « réalité » sur les plans humain, social, économique et artistique puisqu'il a tendance à leur imposer la sienne c'est-à-dire une réalité faisant oublier à l'homme qu'il a un corps, rendant toute « socialisation antisociale », créant une « économie fictive » ainsi qu'une production impalpable.



Donc cet essor de l'immatériel ne cesse de transformer le monde qui nous entoure, sa valeur, sa réalité lui imposant les siennes à savoir une valeur symbolique et une réalité paradoxale séparant l'individu de sa nature, de son environnement sensible. Néanmoins je veux croire en la capacité de de l'homme à agir avec ce nouveau phénomène, à l'utiliser dans le but d'une harmonie avec le monde sensible. Je pense que l'immatériel ne doit pasêtre une barrière au développement de l'homme, il se doit d'y participer. L'art en a ouvert la voie, à chacun de poursuivre sa quête du monde, à chacun de devenir « homme-éponge ».



Chapitre II :

L'avènement de l' « homme-éponge »


Ma pièce s'attarde à « donner du poids à de l'immatériel » comme je l'ai écrit précédemment. Cependant, en la réalisant, je me suis rendu compte qu'il existait deux façon d'appréhender la question de la charge. En effet, je m'y suis reprise à deux fois pour réaliser cette sculpture, la première fut un échec. Je tenais tant à cette notion de masse que j'en ai oublié les questions pratiques à savoir que cette pièce avait beaucoup trop d'ampleur pour supporter une charge aussi excessive en plâtre (80 kg !), elle s'est fatalement retrouvée cassée. Il a donc fallu trouver une solution pour « alléger » le plâtre chose contre laquelle j'étais au départ totalement opposée par souci de sincérité. Pourtant j'ai quand même inséré une plaque de 5 cm d'épaisseur de polystyrène au milieu du matériau réalisant qu'il existait un poids concret et un poids « mental » (le spectateur ne va pas s'amuser à soulever la sculpture pour la peser, il est convaincu par ce qu'elle dégage qu'elle est lourde). Voilà une illustration possible de ce qu'est cette absorption du monde par la sensibilité humaine. L'homme est ambiguë de par sa nature, en effet, il possède à la fois un corps et un esprit contrairement à l'animal comme l'explique Spinoza dans l' Ethique (1677) et c'est cette nature ambivalente qui fait de lui un être exceptionnel capable de ressentir puis d'analyser. C'est pourquoi je veux croire l'homme capable de se réapproprier le monde qui l'entoure pourvu de ses capacités. Nous devons l'absorber grâce à notre sensibilité, notre corps devenir « homme-éponge » pour ensuite l'analyser, le faire évoluer, je pense que l'art nous en ouvre la voie. Pour cela, l'immatériel a déjà mis en exergue un nouveau type de capital, le capital humain et par conséquent, une nouvelle valeur, la « valeur vie » première étape avant l'absorption humaine du monde sensible.



« L'économie humaniste »


L'émergence du « capital humain »


Avec l'économie immatérielle nous assistons à une véritable mutation du capital matériel en « capital humain » comme le démontre Gorz. A savoir que non seulement nous avons recours aux « connaissances » mais aussi et surtout aux « savoirs » humains. Selon Gorz les premières sont sont « des objets matériels ou non, réels ou non comme objet existant en soi, hors de moi, distinct de moi et doué d'autosuffisance », l'objet est « construction sociale abstraite » tandis que le « savoir » est « connaissance intuitive de la réalité sensible non enseignée par l'école » ou « les règles non écrites qui régissent les […] les rapports humains » voire même plutôt censurée s'exprimant surtout sur le plan artistique. Par conséquent des connaissances en économie apprises à l'université, par exemple, ont certes de l'importance mais c'est surtout ce qui va à côté qui importe pour les employeurs c'est-à-dire un certain nombre de « qualités », de « pertinence », de « communication » bref des qualités humaines qui appartiennent à chacun. C'est ce que Gorz appelle la « mobilisation totale » effaçant de plus en plus la frontière entre « sphère du travail » et « sphère personnelle » qui est recherchée. En travaillant, l'individu « se produit » et c'est « le travail qui adhère au sujet » et non l'inverse.

La vie est devenue « source de richesse », « la vie est business » et apporte donc avec elle, une nouvelle notion de valeur comme nous l'avons vu précédemment. En effet,on se pose aujourd'hui la question du « revenu d'existence » consistant à la rémunération du temps hors travail permettant à l'individu d'améliorer son savoir, sa « capacité pratique vivante ». Comment rémunérer une vie ? Cette valeur du service est non mesurable car elle est en majorité une production de soi c'est-à-dire son caractère « personnel [qui] lui confère une valeur intrinsèque qui prévaut sur la valeur d'échange » car aujourd'hui l'homme ne se produit plus pour de l'argent mais pour lui même.


Le profit devient « épanouissement personnel »


Comme je l'ai montré plus haut, l'argent est dérisoire pour mesurer la valeur de la vie. Le profit de cette nouvelle forme de capitalisme est le bonheur et l'épanouissement de l'homme et cela n'a pas de prix même si certes, il ne faut pas se leurrer, l'argent y participe car nous n'avons pas encore trouvé d'autre moyen. Le « capital humain » est source de richesse et non plus « moyen de », il ne s'agit plus d'amasser de l'argent pour amasser de l'argent mais d'accumuler du savoir pour vivre mieux et développer sa « capacité de jouissance ». Gorz parle de « société de culture », cette dernière est devenue un objectif que l'homme doit accroître en « cultivant son esprit, labourant, sculptant » tel l'idéal de la société grecque antique où les hommes étaient ceux qui avait du temps libre pour s'épanouir, participer à la société (« travailler c'est l'asservissement à la nécessité, et cet asservissement était inhérent aux conditions de la vie humaine » Hannah Arendt, La condition de l'homme moderne, 1958) et ceux qui travaillaient n'étaient pas appelés des hommes mais des esclaves.

De là le rapprochement de l'homme d'aujourd'hui avec l'artiste. En effet ce dernier est celui qui « sublime », qui adapte la réalité à ses désirs grâce à sa création. Il « travaille » pour sa propre vie, agit sur le monde en interrogeant ses habitants à son propos. Quelque part il oeuvre pour l'humanité et c'est en cela que l'on ne peut dire qu'artiste n'est pas un emploi comme un autre voire même un emploi tout court. L'argent qu'il reçoit est une « aide » apportée à l'élaboration de son projet créatif mais en aucun cas il n'a de rapport d'équivalence avec sa valeur artistique, symbolique, intrinsèque. « Pour le musicien qui vend de la musique, le résultat ne se mesure pas seulement en argent mais aussi par la valeur d'un travail qui a une signification en soi » car « la valeur argent ne reflète en rien la valeur esthétique, laquelle ne reflète en rien la valeur travail ». Par conséquent, dans ce cas « la consommation n'est pas destructrice mais créatrice d'autres connaissances ».

Ainsi, si assurément le « capital humain » permet de produire de plus en plus de savoir, ce dernier dois prendre garde de ne pas se métamorphoser en pure et dure accumulation de connaissances car il doit être eudémoniste c'est-à-dire avoir un objectif, celui d'amener la vie de chacun vers le bonheur. Connaître pour connaître n'a aucun intérêt, l'essence de l'homme n'est pas seulement un esprit.


La préservation du « capital existence » face à la montée d'un « capital essence »


Comme nous l'avons vu ci-dessus, l'homme ne peut et ne doit surtout pas devenir essence d'un « super esprit » c'est-à-dire apprendre pour apprendre, parallèlement au gagner de l'argent pour gagner de l'argent, non il doit apprendre pour pratiquer par la suite. D'abord parce que telle est la « nature » humaine, l'homme est existence avant d'être essence comme l'a démontré Sartre dans L'existentialisme est un humanisme (1946) : « l'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et sera tel qu'il se sera fait ». Je pense, comme lui, qu'à partir du moment où l'on naît nous nous approprions des connaissances que nous pratiquons par la suite de jour en jour et que cela est évolutif. La théorie est indispensable uniquement si elle est liée à la pratique et vice et versa. Cela m'apparaît être une évidence surtout depuis que je suis étudiante au sein d'une école des beaux-arts. En effet avec ce type d'enseignement la pratique a autant d'importance que la théorie. Il m'est nécessaire de lire les auteurs qui m'intéressent pour mettre en forme ce texte qui est comme la démarche artistique de mon travail actuel et d'un autre côté il m'est essentiel d'expérimenter, de produire pour comprendre l'intérêt de ma recherche à travers ce texte. Il doit en aller de même avec le travail immatériel d'après Gorz qui cite Merleau Ponty : « Le sujet n'est jamais socialement donné, il est donné à lui-même comme un être qui a à se faire lui-même ce qu'il est. Nul ne peut l'en dispenser ni l'y contraindre ». Donc le travail serait un moyen pour l'homme de se réaliser dans sa vie ou autrement dit, il doit participer au développement de l'existence de chaque individu.

Cependant, se développe parallèlement à ce culte de l'existence humaine, un culte de l'essence donnant naissance aux méthodes les plus absurdes. L'argent pour l'argent devient la connaissance pour la connaissance à travers la science pour la science. De fait l'homme a désormais tendance à utiliser la science comme moyen de parvenir à la création d'une essence humaine faisant abstraction totale de son corps, donc de sa nature ambivalente, créant par conséquent une « société de l'ignorance » (on n'en sait de plus en plus mais on en comprend de moins en moins). Or je pense que la notion de vie si essentielle à l'épanouissement humain est indissociable du corps (on perd la vie quand l'un de nos organes, à savoir le coeur, cesse de fonctionner), « la technoscience [évolution actuelle de la science, de plus en plus technique, visant plus à la domination du monde qu'à sa compréhension] produit un monde qui […] viole le corps humain par les conduites qu'il en exige ». Certains scientifiques parlent de créer un « esprit autonome », une « intelligence artificielle », et d'agir sur le génome permettant de mathématiser l'homme comme ils l'ont déjà fait avec la nature (celle-ci est peuplée de lois) faisant de lui une essence qu'ils légitiment en disant « émanciper l'esprit de la nature par l'homme ». Or cela poserait un certain nombre de problèmes d'identité de la part des « humanoïdes » car n'ayant pas de corps, comment savoir d'où ils viennent, à quelle société ils appartiennent puisqu'ils n'auront aucune origine commune, leur vie ne leur appartiendront pas puisqu'ils ne l'auront pas « créée »! « L'humanisation n'est pas assurée à la naissance, elle est à réaliser pour et par chaque individu » car la « conscience est indissociable du corps ».

Donc, seule l'existence humaine rend l'homme capable d'évoluer en se créant. La vie est à la base de toute création, de tout projet. J'ai de plus en plus envie de crier « JE CREE DONC JE SUIS » !!!


Ainsi, je pense, sûrement avec beaucoup d' utopisme, que la véritable richesse n'est pas celle offerte par l'économie par l'intermédiaire de l'argent mais celle de l'homme, de sa vie, de sa création, de son oeuvre. Pour cela il a besoin d'un support, je pense que celui-ci doit être son environnement, « un autre monde est possible ».


L'absorption du monde sensible par « l'homme-éponge » comme idéal


L'homme doit absorber le monde en utilisant son « imagination de la matière »


Nous devons être des « éponges » face au monde qui nous entoure, nous devons le ressentir, en mettant tous nos sens à son écoute. C'est d'ailleurs ce que Klein symbolise avec ses éponges imbibées d'IKB. Comme l'enfant (« Quand j'étais enfant … Mes mains et mes pieds trempés dans la couleur, puis appliqués au support, et voilà, j'étais là, en face de tout ce qui était psychologique en moi. J'avais la preuve d'avoir cinq sens, de savoir me faire fonctionner », Klein), comme le poète qui devient voyant par un « immenseet raisonné dérèglement de tous les sens » (Arthur Rimbaud) nous devons atteindre ce haut degré de communion avec le monde et cela, seule notre sensibilité c'est-à-dire l'association corps puis esprit nous le permet. La contemplation du monde ne doit pas être passive mais active. Dans son essai intitulé L'eau et les rêves, Bachelard met en place tout une réflexion sur cette fameuse « imagination de la matière ». Il part du principe que toute matière est génératrice d'images. Pour lui « la matière est l'inconscient de la forme », c'est elle qui vient avant. Il prend l'exemple du lait et du sein afin d'illustrer son propos. Par conséquent, la matière « lait » commande la forme « sein ». Nous contemplons d'abord la matière pour nous donner une idée de forme. Ces matières sont essentielles, ce sont celles du monde, celles des éléments (terre, eau, feu, air). La forme est donc secondaire, c'est l'individu qui la façonnera selon son ressenti. Klein dit a propos du monochrome « ce qui apparaît est séparé de la forme et devient immédiateté ». De ce fait, le monochrome est « matière couleur » et se veut informel afin de laisser libre-cours à la sensibilité de chacun.

Ainsi, l'homme doit être à la fois à l'écoute de son corps et de son esprit afin d'activer sa sensibilité, c'est l'étape nécessaire à sa réappropriation du monde immatériel et pour le moment seul l'artiste en a réellement la faculté.


L'artiste, « reporter » du monde sensible


« Ce qu'il faut à un artiste, c'est un tempérament de reporter, de journaliste, mais dans le grand sens de ces mots, peut-être oubliés aujourd'hui » (Yves Klein). Pour Klein, le rôle de l'artiste est primordial dans ce « rapport » du monde. Il doit aller puiser à l'intérieur du monde sensible tout ce qui peut être précurseur d'une certaine sensibilité. Il doit récolter des empreintes, des traces, des matériaux du monde. De là, Klein obtient des traces de corps humains (Anthropométries) puis de nature avec les quatre éléments. D'abord il parvient à se procurer les traces de l'eau et de l'air à travers les Naturemetries (il fait le trajet Nice-Paris avec une toile vierge sur le toit de sa voiture qui se couvre alors d'une « marque végétale ») puis celle du feu avec les Peintures de feu et enfin celle de la terre avec ses Eponges. Par conséquent, l'artiste amène comme une matière première et l'individu s'en imprègne pour en faire naître sa forme.

D'où l'importance que joue le rôle de l'art dans une société. Je vois l'art comme une certaine vision du monde, une vision sensible contrairement à la politique. Cette vision 1s'adresse à chacun d'entre nous et non à une « masse synthétique » dépourvue d'opinion personnelle, l'art est expression libre qui « touche » ou non chaque individu. Voilà pourquoi nous devons utiliser le monde comme support.


Le monde sensible, support de l'accomplissement humain


C'est à chacun de s'approprier, d'agir sur le monde qui l'entoure que ce soit d'une manière ou d'une autre. Les artistes l'interrogent, y apportent parfois leur réponses, aux hommes d'apporter les leurs. Prenons l'exemple de Kadder Attia, artiste contemporain et son oeuvre Arabesques (2005) exposée au Palais de Tokyo, mur de matraques reprenant le graphisme de Mondrian. Avec cette oeuvre l'artiste nous fait nous interroger sur la montée de la violence au sein même de notre société, les émeutes dans les banlieues, les répressions de CRS pendant les manifestations … Moins social est le travail de Serra et ses « sculptures » monumentales en acier et pourtant, elles jouent elles aussi sur notre rapport au monde sensible mettant en jeu les notions d'équilibre, de pesanteur du matériau, d'échelle …

Ainsi la consigne de l'art est d'inciter chacun à puiser, grâce à sa sensibilité, dans le monde sensible ce qui va lui permettre de se réaliser, de se penser.

Je pense donc que l'homme doit utiliser sa sensibilité, c'est-à-dire son corps puis son esprit afin d'imprégner telle une éponge le monde qui l'entoure pour le repenser et se repenser.



Ainsi, le monde se dématérialisant de jour en jour, l'homme ne doit surtout pas suivre son côté négatif qu'est la déshumanisation (la disparition de l'espèce humaine derrière l'argent, derrière la science) mais au contraire utiliser sa véritable richesse qu'est le savoir qu'il peut y puiser grâce à sa nature ambivalente. Ce savoir doit servir l'homme uniquement et son épanouissement personnel doit en être le seul profit. Enfin ce savoir s'acquiert par l'absorption totale du monde sensible.

« C'est par la force terrible mais pacifique de la sensibilité que l'homme ira habiter l'espace. C'est par imprégnation de la sensibilité de l'homme dans l'espace que se fera la véritable conquête de cet espace tant convoité. Car la sensibilité de l'homme peut tout dans la réalité immatérielle, elle peut même lire dans la mémoire de la nature, du passé, du présent et du futur », Yves Klein.